Passion pour la fonction.

En effectuant nos recherches sur l’histoire du bâtiment, on a découvert que d’autres s’y étaient intéressés avant nous. Des élèves de 3e notamment, et des experts externes. On a pris rendez-vous avec le plus fameux d’entre eux pour en apprendre plus.
Matthias Grütter, tu es une véritable encyclopédie humaine de l’histoire de Bienne, et tu as créé la visite guidée Architektour qui met à l’honneur les bâtiments emblématiques de la ville. Nous sommes élèves dans l’école de l’école B:B, juste derrière la gare. Et le bâtiment qui l’héberge fait partie de ton parcours. 
Peux-tu nous en dire plus sur son style architectural?
Oui, avec plaisir ! En allemand, on parle de Neues Bauen, on peut le traduire en français par Nouvelle Objectivité. C’est un mouvement qui est lié au Bauhaus. C’est toujours un peu délicat de parler de style… la bonne architecture, c’est beaucoup plus qu’un style: c’est une forme, donc plutôt une philosophie. Et sa question centrale, est : quel est le but d’un bâtiment ? Et quelles sont ses spécificités ? Qu’est-ce qu’on a voulu faire en le construisant ? La Nouvelle Objectivité réfléchit à ces différentes questions. L’aspect de la modernité architecturale d’une part, mais aussi, et surtout, l’idée de vivre autrement. Le Bauhaus, la Neue Sachlichkeit, le Constructivisme de l’Union Soviétique, le style des Pays Bas, Adolf Loos et la Rue des Vignes, toutes ces émanations nées entre 1907 et 1939, ce sont des facettes de la modernité. En architecture, si un style émerge, on cherche à produire des choses marquantes qui nécessitent des moyens conséquents pour le rendre visible. Mais très concrètement, dans le Neues Bauen, le but est de créer un habitat pour la classe moyenne, quelque chose de bien, tout en construisant moins cher. Form Follows Function, vous connaissez ? La fonction dirige la forme. C’est appliqué en architecture, en design, en graphisme… Le sens est assez évident et votre école en est une application très concrète : la forme du bâtiment originel est une usine, parce que sa fonction est la production.
Est-ce que Bienne a un rapport particulier au modernisme ? Y’a-t-il d’autres bâtiments modernistes aussi emblématiques ou l’école est-elle un cas particulier ?
La liste des bâtiments Neues Bauen à Bienne est longue : on compte près de 300 bâtiments de ce style. C’est complètement fou ! Bienne se classe juste après « la ville blanche de Tel Aviv », l’endroit où l’on trouve les plus d’exemples de ce style. Mais le quartier de la gare à Bienne est le seul quartier Neues Bauen au monde qui présente une telle homogénéité. À Berlin, ou à Zurich, on peut certes trouver plus de bâtiments qu’à Bienne, mais ils sont épars. Un quartier entier dans ce style, c’est très rare. Notre rue de la gare, est une exclusivité mondiale. En 2018, j’ai d’ailleurs demandé à la ville de Bienne s’il y avait quelque chose de prévu pour célébrer le centenaire du Bauhaus. Et la réponse fut : Non, on n’a rien de prévu, Bienne n’est pas si spéciale. On n’a pas encore développé de conscience du patrimoine présent ici. Il est extrêmement riche, mais le problème c’est que le modernisme n’est pas très spectaculaire. La fonction, ça n’est pas impressionnant. Il faut avoir l’œil pour ça.
L’école fait donc partie du patrimoine biennois. Qu’est-ce que ça amène comme problématique ?
Eh bien, voilà un exemple : ces dix dernières années, beaucoup de rénovations ont été effectuées. On en notamment a repeint toute une série de bâtiment, dont l’Atlantic House à la place de la gare, en vert très vif. Ou encore l’ensemble des trois bâtiments, à l’angle de la rue des Prés, un orange, un jaune, un vert. Quand la rénovation a été terminée, on a pu lire dans le journal que c’était une vraie catastrophe : « On a rénové toutes les maisons avec des couleurs pop-art. Ça va pas du tout ! » Mais l’office du patrimoine a certifié qu’il s’agit bel et bien des couleurs originales. Le grand public ne s’attend pas à des constructions aussi colorées, parce que toutes les photos d’époque sont en noir blanc, mais sur les images, le gris des bâtiments ce sont des couleurs. L’Hôtel Elite est jaune, la maison du peuple est rouge. Et il y avait une règle quant à l’utilisation de ces teintes : seuls les bâtiments à l’angle des rues étaient colorés et bien souvent de forme un peu spéciale. Le reste de la rue était plus neutre. La question des rénovations, c’est assez complexe. Si on commence à rénover, le problème, aujourd’hui, c’est qu’il y a une tonne de nouvelles restrictions liées à la sécurité, comme la protection anti-feu ou la hauteur des garde-corps. Même les portes d’entrée, on ne pourrait plus du tout les construire comme ça. Et puis, pour rénover, le propriétaire doit avoir une notion de l’histoire, une sensibilité pour cette histoire, c’est exigeant… Heureusement qu’aujourd’hui, la plupart des maisons sont protégées. Jusqu’en 2003, ce n’était pas le cas et on a notamment démoli le cinéma Capitole, le plus grand cinéma de Bienne, incluant un théâtre et une salle pour les concerts. Il était immense : il avait une capacité de plus de 1000 places, toute l’histoire du jazz biennois des années 50-60 s’y est jouée. Quel dommage…
Donc, le bâtiment General Motors, a été construit dans les années 30, c’est bien ça ?
La production a commencé en 36. La construction du bâtiment a commencé, je pense, en août ou en juillet 35. A peine huit mois après, on a commencé à y travailler et on a produit la première voiture. C’était gigantesque, fonctionnel, rapide, très impressionnant pour l’époque. Vous savez tous les marques qu’on a construites à General Motors ? Il y avait Chevrolet, Cadillac, Oldsmobile, Pontiac, Vauxhall, Lassalle. On a même produit la GM Ranger. C’est une voiture top qualité, mais qu’on n’a pas réussi à produire en quantité. C’est pour cette même raison qu’on a arrêté la production des autres marques à partir de 75. General Motors a continué à faire les imports de pièces de rechange pour Opel.
La Ranger, c’est cette voiture un peu mythique ?
Oui, il a eu très peu d’exemplaires. Mais il y a un entrepreneur biennois, retraité maintenant, Claude Conrad, dont le but est d’ouvrir un musée de General Motors d’ici deux ans. Lui-même possède 15 voitures issues de l’anciennne usine GM. Et aussi la toute première voiture créée à Bienne : Henriod. Ça vous dit quelque chose ? Quand on parle des voitures Henriod, tout le monde pense à Paris, mais c’est biennois à la base. Pour trouver un marché, Henriod a dû s’exiler à Paris. Ici, c’était trop petit.
Revenons au bâtiment de l’école. On raconte qu’il aurait été un « cadeau » de la ville à General Motors… Quelles conséquences économiques ça a eu?
L’impact a été immense. Ça vous dit quelque chose, le Black Friday ? La bourse à New York a crashé le 24 octobre 1929. Ça a débouché sur une crise économique mondiale. En 1930 à Bienne, il y avait plus de 30% de chômage. La crise a été immense, et l’assurance chômage n’existait pas encore. On a essayé de doper l’industrie par tous les moyens pour avoir des places de travail. 
Le premier essai, ça a été de créer une industrie aérienne à Bienne. Il y avait à l’époque un aéroport à Boujean. Le maire, Guido Müller, a incité la ville de Bienne à investir dans les moteurs et les petits avions, mais les partis bourgeois n’ont pas pris sa vision au sérieux. Il a fallu trouver autre chose. Alors quand il a entendu que des représentants de General Motors cherchaient une place pour faire une usine en Suisse, il est tout de suite allé à Genève et a commencé à négocier. Il s’est battu contre les offres de dix autres villes suisses. Et c’est lui qui a réussi à convaincre GM. Le contrat – le cadeau, comme tu dis – c’était une usine toute neuve et 5 ans libres d’impôts. La ville de Bienne a créé l’usine directement. Et ça a beaucoup impressionné GM, ça répondait un peu à l’idéologie américaine. Au début, l’usine a créé 400 places de travail. Puis ça s’est encore accru jusque dans les années 60. Mais ça a aussi bénéficié à nombre de petites entreprises biennoise, qui ont fourni des pièces, comme Roviva, une entreprise textile qui a produit l’étoffe des sièges de voitures, et bien d’autres qui ont fourni le chauffage, les boulons, les radios, et j’en passe… Tout était fabriqué en Suisse. Ce qui a aussi attiré d’autres compagnies, comme Firestone qui s’est établi à Muttenz, près de Bâle, pour fournir plus efficacement l’usine à Bienne.
Et le fin mot de l’histoire : est-ce que vous connaissez l’architecte qui a construit l’école ?
Et le fin mot de l’histoire : est-ce que vous connaissez l’architecte qui a construit l’école ?